Depuis quelques temps, votre enfant essaie de lire tous les mots qu’il rencontre, sur les paquets de céréales, sur les panneaux publicitaires ou à la télé. Il est soudainement atteint du syndrome du « comment ça s’écrit, ça ? » et du « qu’est-ce que c’est marqué, là ? » Pas de panique ! C’est une bonne nouvelle ! Il traverse seulement ce que Maria Montessori a appelé la période sensible de la lecture, période durant laquelle cet apprentissage est largement facilité par son « esprit absorbant ».

En gros, c’est durant cette période qu’il sera le plus facile pour lui de rentrer dans la lecture. Elle a souvent lieu vers 4 ans, parfois un peu avant. Ce fut le cas pour mes 2 aînés, qui ont appris à déchiffrer à cet âge en quelques semaines et sans forcer 😉 Ce schéma là est idéal, parce qu’il fait appel à une motivation profonde de l’enfant, celle du plaisir. Donc n’hésitez pas à proposer une entrée dans la lecture dès que votre enfant en a envie !

Je vous propose ici la « méthode » que j’ai suivie avec mes loulous (et avec mes élèves). Elle s’inspire des grandes lignes Montessori (et je dis bien s’inspire parce qu’elle n’est en aucun cas la méthode « pure »). Elle n’engage que moi, elle n’est ni l’unique ni la meilleure,  et peut évidemment être améliorée! Je précise aussi pour mes collègues instits que je simplifie les termes volontairement pour que tout le monde s’y retrouve (je ne voudrai pas faire fuir avec mes graphèmes, phonèmes et autres digrammes 😉 )

1. reconnaitre les sons de la langue. 

objectif : ici, on va chercher à développer chez l’enfant la capacité à entendre et à reconnaitre les sons qui composent un mot.

Pour nous, il est évident que le mot BOL contient les sons b-o-l , mais ça n’est pas du tout, DU TOUT, le cas pour les enfants, ils n’entendent que le mot dans sa globalité. Ils doivent donc apprendre à décomposer ce mot pour y entendre chacun des sons.

Ce qui va compter, c’est bien d’insister sur le son , et pas sur le nom ! Par exemple, le m chante « mmmmm » et pas « èm », le b chante « b » et pas « bé ».

activité :  jeu « je devine » : on commence plutôt par les sons voyelles, puis les sons des consonnes longues (mmm, rrrrr, sssss, llllll, jjjjjj, ffffff, vvvvv…) qui sont plus faciles à entendre que les sons des consonnes dites courtes comme b, d, ou p.

matériel : des petits objets, des figurines, des animaux, enfin tout et n’importe quoi!

déroulement :  choisir 3 objets dont le 1er son est très différent à l’oreille (avion, marteau, image par exemple), puis les placer sur la table. Procéder à une « leçon en 3 temps » :

– 1er temps : dire en pointant l’objet : « aaaaavion » (oui, oui, comme ça, en insistant bien sur le aaaaaa ; promis, on s’y fait ;-)), puis demander à l’enfant de répéter. Faire de même avec les 2 autres objets.

– 2ème temps : demander à l’enfant de montrer aaaaavion, puis mmmmmarteau et iiiiimage.

– 3ème temps : on pointe un objet, et l’enfant doit donner le 1er son.

Continuer avec d’autres objets ou ranger le matériel.

évolution : même exercice avec d’autres sons / avec des objets dont les 1ers sons sont proches (stylo, zèbre, voiture par exemple) / avec des sons en fin des mots / avec des sons au milieu des mots.

En vidéo, c’est toujours plus parlant. En voilà une de Sylvie d’Esclaibes :

Cette activité peut peut-être vous paraître un peu trop « scolaire » (quoique, comme vous l’avez vu, cet exercice peut être fun !) Si vous sentez que votre enfant n’accroche pas, ou se lasse, n’insistez pas , et tentez des exercices moins formels, comme ceux-ci :

– trouver des objets dans son environnement : « montre-moi un objet dont le nom commence par le son …  » ou « allez,  on fait la course, le 1er qui trouve un objet qui commence par aaaaaa ».

– activité de tri j’entends/je n’entends pas : on trie des objets (plus c’est concret et manipulable, mieux c’est) en 2 catégories, celle où l’on entend le son ( rrr par exemple) et celle où on ne l’entend pas. Par la suite, on peut passer à un niveau supérieur d’abstraction avec des tris d’images au lieu d’objets.

exemple d’ateliers j’entends / je n’entends pas avec des objets réels chez « Montessori mais pas que » (pdf à télécharger ici : jentends-je-nentends-pas avec des objets réels , puis avec des cartes manipulables trouvées sur le » blog du chat noir » (ici : J’entends-je n’entends pas 1 — J’entends-je n’entends pas 2—J’entends-je n’entends pas 3 )

–  sur tablette avec l’application le son des lettres que j’aime beaucoup personnellement (uniquement sur Iphone ou Ipad malheureusement) :

–  activités autour des rimes avec les prénoms : maman aime le … safran! (oui j’ai des gouts de luxe haha)

Dans tous les cas, ces jeux doivent être courts, rythmés et ludiques. A la fin de ces activités , votre enfant devrait pouvoir dire que dans BOL il y a les sons b-o-l (avec un peu d’aide c’est bon aussi).

2  associer un son avec une lettre (ou plusieurs , comme dans le « ou »)

objectif :  il s’agit en fait simplement de donner le code, c’est à dire la lettre (ou les lettres comme dans « on ») qui va correspondre à chaque son.

activité : les lettres rugueuses. C’est l’activité phare de la méthode Montessori à ce stade. Elles ont l’avantage de permettre une entrée par le visuel et par le toucher.

matériel : les lettres rugueuses. Vous avez le choix entre plusieurs graphies. En maternelle traditionnelle, les élèves commencent par apprendre à reconnaitre les lettres en capitales d’imprimerie mais celles-ci sont vite délaissées pour la cursive et le script. Etant donné que l’on écrit en cursif, j’ai choisi cette graphie pour les lettres rugueuses. Mais je sais que d’autres préfèrent le script. C’est un vaste débat dans le monde de l’éducation 😉

déroulement : prendre 3 plaques rugueuses représentant des lettres (ou groupes de lettres) dont les sons sont éloignés ( a, l, i par exemple) puis procédér à la leçon en 3 temps :

1. prendre une plaque, tracer la lettre avec ses doigts en donnant le son « C’est aaaaaaa» ( vous avez l’habitude maintenant 😉 ) Faire répéter et tracer,  puis faire la même chose pour les 2 autres.

2. demander à l’enfant : « Montre-moi aaaaaaa » et l’inciter à tracer en même temps.

3. demander à l’enfant : « C’est quoi ? » en pointant une lettre.

Continuer avec 3 autres lettres ou ranger le matériel.

Remarque : l’objectif ici n’est pas le tracé des lettres mais bien l’association d’une lettre avec son son.

évolution : on peut faire tracer les lettres dans le sable, dans la semoule. Certains adorent, d’autres pas tellement. A vous de voir si votre enfant accroche.

Lorsqu’il arrive à associer une dizaine de lettres avec leurs sons, on peut proposer l’activité suivante (et continuer les lettres rugueuses en parallèle)

3. Composer (écrire) ses 1ers mots 

objectif : écrire (pas dans le sens écrire avec sa main, mais composer) ses 1ers mots. En pédagogie Montessori, on code (écrit) avant de décoder (lire), mais la lecture vient vite derrière.

activité : dans l’idéal l‘alphabet mobile (j’ai acheté le mien chez Montessori store, je ne vous le recommande pas particulièrement. Je sais qu’un certains nombres de mes collègues se sont fournis au bois des lettres , et en sont ravis : http://www.auboisdeslettres.com). Si vous n’avez pas l’alphabet, on peut aussi se contenter d’imprimer et de plastifier un alphabet papier (que vous pouvez imprimer ici : alphabet_cursive_couleurs).

remarque : l’enfant peut aussi vouloir écrire avec sa main.

déroulement :

1.  choisir un objet dont le mot est composé de lettres connues de l’enfant, et si possible qui puisse être associé à un objet réel, comme « fil »… : « Aujourd’hui, tu vas composer tes 1ers mots. On va écrire le mot fil ! Qu’est-ce que tu entends dans fil  ? »

2. l’enfant dit « ffff» (ou bien on l’aide à entendre en scindant et en exagérant), on lui demande d’aller chercher la lettre f dans l’alphabet mobile (ou bien l’étiquette du f si vous avez choisi d’imprimer et de plastifier un alphabet).

3. on le pose à gauche en verbalisant.

4. on fait la même chose pour les 2 autres sons en décomposant bien, et en posant les lettres à la suite, en montrant bien la liaison qui s’opèrent entre les lettres (elles s’attachent).

5. on peut proposer d’autres mots, à la suite ou plus tard (voir progression et exemples de mots dans la partie consacrée aux « dictées muettes »)

 4. S’entraîner à coder

objectif  : coder des mots de plus en plus facilement. Pour cette activité, l’enfant doit connaitre toutes les lettres et savoir les associer aux sons.

activité : alphabet mobile 2

déroulement : prendre l’alphabet mobile et s’installer avec l’enfant.

1. lui proposer de choisir un mot à composer. Lui donner des idées si nécessaire.

2. l’aider dans les différentes étapes au besoin:

– décomposer les sons ( piano : p / i / a / n / o )

– associer les sons à leur graphie

– placer les lettres correctement (de gauche à droite )

L’enfant apprend à coder de plus en plus facilement les mots, puis les phrases . A ce stade là, on ne le reprend pas systématiquement  sur l’orthographe. On passe à l’activité suivante lorsque l’enfant automatise ses codages et commence à se relire (la fameuse entrée en lecture !)

tout le monde a évidemment reconnu le dimétrodon … 

   et, oui, visiblement, c’est un poulet, et non une poule 😉                                                               

 5. Commencer à lire (décoder)

Objectif : décoder ses 1ers mots

Activité : les messages secrets

déroulement : dire à l’enfant : « Viens, je vais t’écrire un secret ! »

1. choisir un mot phonétiquement simple et avec un référent réel (vis, sac, mur, fil…), sans «piège »

2. l’écrire devant lui et lui demander s’il peut le lire : l’aider à « accrocher les sons »

3. ne proposer que des objets connus par l’enfant pour qu’il puisse mettre en jeu la déduction et donner sens ( pour que vvvv-iiiiiii-sssss se transforme en vis )

4. demander à l’enfant qu’il explique ce qu’est une vis , qu’il aille en chercher une (pour s’assurer de la compréhension) ou lui proposer d’aller scotcher l’étiquette directement sur l’objet (autant vous dire que mon garçon était ravi d’aller accrocher l’étiquette « slip »… ;-))

évolution : mots avec des lettres muettes (jupe, lit…: on écrit la lettre muette en la soulignant ou en l’écrivant en gris, et on explique que cette lettre s’écrit mais ne se prononce pas) , mots de plus en plus longs, mots avec des sons complexes comme on/ ou/ in / an,  petites phrases simples…

——— > Pour travailler en autonomie : les dictées muettes : ce matériel permet à votre enfant de travailler seul. Il compose des mots de difficulté progressive, et dont ils ont l’image sous les yeux. Il peuvent ensuite s’autocorriger simplement en retournant la carte. Il faut toutefois veiller à ce que l’enfant ait le bon vocabulaire associé à chaque carte (dans les images ci-dessous, il y a fort à parier que l’enfant veuille composer oiseau et non canari …)

Ci-joint la progression et les dictées muettes trouvées sur le super site de « tiloustics » :

progression-dictees_muettes ti loustics

1-dictees_muettes-jaune_phonetique

2-dictees_muettes-orange_phonetique-e-muet-final

3-dictees_muettes-rouge_phonetique-2consonnes

4-dictees_muettes-rose_phonetique-graphie-complexe

Il ne vous reste plus qu’à imprimer, coller le mot autocorrectif derrière l’image correspondante, et à plastifier le tout.

6. Automatiser la lecture : les 1ers livres 

A ce stade, vous pouvez proposer à votre enfant de lire son 1er livre ! J’aime bien la collection Sami et Julie, ou bien la collection Mes 1ères lectures Montessori.

Les Sami et Julie sont intéressants parce qu’ils proposent au début une double page de préparation à la lecture et, à la fin, des questions de compréhension. 

Ils sont écrits en script. Ici, ça n’a finalement pas posé problème, les enfants ont repéré assez facilement les lettres dans nos différentes lectures du soir, et ont fini par les reconnaitre. Camille a parfois des doutes, il me demande ou demande à sa soeur.

Mais si vous voulez proposer des jeux de correspondances entre les différentes graphies, vous pouvez imprimer ce jeu de domino trouvé sur le blog de « l’école de Crevette » (dominos des lettres ) ou encore ce jeu de mise en paire de moufles déniché sur le blog « Ateliers d’inspiration Montessori… ou pas » ( Paires-de-Moufles-cursif-Script ). La collection Mes 1ères lectures Montessori est écrite quant à elle en cursif.

Voilà c’est terminé, félicitations si vous êtes arrivé au bout 😉 Encore une fois, il s’agit simplement de mon expérience personnelle, de celle des mes enfants et de mes élèves. Mais le meilleur indicateur, c’est votre loulou ! N’hésitez pas à commenter pour me donner vos témoignages, pour poser des questions, demander des précisions…

Bonne lecture 😉